Comment se protéger des requins de pelouse Editorial

Comment se protéger des requins de pelouse

et autres prédateurs de mixed border

Nos jardins ont besoin de l’attention des médias, et si la presse connaît de profondes mutations, il est important que l’ensemble des propriétaires de lieux remarquables qui souhaitent promouvoir leur jardin ne se fassent pas duper par quelques opportunistes de circonstance voire par de véritables escrocs.

Etre ou avoir été…
Il y a toujours eu des pique-assiettes dans les parages de la presse, anciennes gloires d’une profession ou opportunistes venus profiter du buffet, mais l’époque est à une inflation de pseudo-journalistes qui fleurissent comme une espèce invasive dans tout ce qui se publie sur papier ou en ligne.
Nous contraignant même à rappeler ici que L'Art des Jardins ne compte que deux personnes pouvant représenter officiellement notre magazine : Marianne et moi-même (oui, hélas, certains et certaines se revendiquent parfois de L'Art des Jardins à notre place lors d’une visite, merci aux propriétaires de jardins qui nous l’ont signalé).

Le grand mix
L’hécatombre de l’édition a laissé bon nombre de professionnels sur le carreau et le journalisme de jardin ne compte plus qu’une poignée de véritables détenteurs d’une carte de presse – celle-ci prouvant que le journalisme est leur activité principale rémunérée comme telle –. Des titres autrefois prestigieux se voient réalisés par des « agences de contenus » qui recyclent à longueur de parutions des « informations » dont on se demande d’où elles proviennent tant elles sont parfois obsolètes. Des rubriques entières ne sont que des compilations, des ré-assemblages de reportages, des sujets illustrés de photos de stock dont l’auteur est souvent anonyme,ou discrètement caché sous un pseudo. Une production à bas prix massivement confiée à des personnels non salariés qui facturent leur réécriture de livres, de magazines et de dossiers, parfois juste glanés sur internet.

Les spécialistes d’antan continuent parfois jusqu’à épuisement à piger pour certaines publications, parce que les retraites de journalistes et de photographes laissent certains dans une situation de précarité difficilement supportable. D'autres prolongent le plaisir d'être considérés ou profitent de la facilité à conserver une petite activité à laquelle leur signature donne du crédit. Sans toujours se donner la peine de réactualiser leurs informations, les supports n'étant pas très exigeants puisqu'il s'agit avant tout pour les éditeurs de remplir des pages et d'occuper un marché. Et s'y joignent aujourd'hui une armada de "chroniqueurs à tout faire" dont l’expansion d’internet a facilité l'émergence.
Aujourd’hui, se retrouvent donc dans un même creuset aux contours mal définis : des professionnels de l’information qui relèvent de la très officielle convention collective des journalistes, soit les seuls véritables « pros » de la presse, des chroniqueurs de divers médias, des blogueurs, des influenceurs, des photographes et diverses personnalités plus ou moins en relation avec l’écrit horticole ou la communication… Devant l’hémorragie définitive de véritables journalistes, l’Association des Journalistes du Jardin et de l’Horticulture (AJJH) a choisi de modifier ses statuts lors de sa dernière AG de manière à désigner tous ses adhérents relevant d’une activité en relation avec l’écrit de jardin comme « membres actifs », créant un imbroglio de fait : quelle est la réelle qualification professionnelle d’une personne pouvant se revendiquer de cette association ?

Oui, les propriétaires de jardin, les professionnels du secteur peuvent légitimement s’interroger sur la qualification de la personne qui viendra désormais leur proposer un reportage ou une citation quelque part : est-il journaliste? Est-il normal qu’il demande à être défrayé ou hébergé ? Faut-il le payer pour qu’il réalise des photos du jardin ou de l’entreprise ? Faut-il payer une annonce dans son support pour voir le sujet publié ? Si ces questions se posent, c’est qu’une pratique « commerciale » des métiers de la communication est loin d’être négligeable aujourd’hui, et que le flou des qualifications autour du terme « journaliste » peut prêter à confusion.

Revenons donc aux basiques.
Tout « journaliste », qu’il soit indépendant ou membre permanent d’une rédaction, est en mesure d’assumer lui-même ses frais de reportage parce qu’ils font l’objet d’une compensation financière sous forme d’avantages sur ses propres taux de cotisations sociales et d’un important crédit d’impôt sur le montant déclaré de ses revenus. Le journaliste « intégré » à une rédaction voit ses frais pris en charge par le journal ou la radio qui l’emploie parce qu’ils vont être déduits des revenus de l’entreprise.
Un propriétaire de jardin peut accueillir gracieusement chez lui un reporter pour faciliter son travail, mais il n’y est pas obligé. Et lorsqu’il y a demande de paiement en cash ou de remboursement de factures, il y a clairement un abus.
Un photographe indépendant exploite les photos pour lui-même, les proposant, s’il possède l’accord des propriétaires des lieux visités, dans des ouvrages de librairie, des revues, des journaux… qui le paient directement. Il assume la prise en charges de ses frais de reportage, ou les fait rembourser par le support qui l’emploie. Se faire payer par un propriétaire de jardin les prises de vues, l’accès privilégié à un support ou à un projet (« je suis X du journal Y) » relève bien d’un abus.
Un propriétaire peut charger un photographe de réaliser les prises de vues de son jardin en le rémunérant, comme il le ferait pour un mariage. Mais, en cédant moyennant paiement les images qu'il a réalisées, le photographe abandonne son droit à les exploiter lui-même autrement que pour leur intérêt artistique, dans une exposition sur son œuvre ou à des fins de promotion, sur son site internet par exemple. Il conserve sur les clichés un droit moral qui interdit d’en faire une exploitation commerciale sans son autorisation. Et les propriétaires du jardin conservent dans tous les cas un droit à l’image sur les lieux et les personnes représentés, leur permettant d’interdire qu’ils soient réemployés en dehors de l’usage convenu initialement.
Il y a un peu de flou sur les bords de l’image, car les notions relevant de la responsabilité et des droits de chacun se recoupent parfois, mais un peu de bon sens éviterait la plupart des abus.

Enfin, si un reporter se présente à vous, ou bien si vous avez contacté son support pour qu’il vienne faire un reportage sur votre jardin, toute publication ultérieure est libre et gratuite, à la seule initiative et sous la responsabilité du rédacteur. Il n’y a rien à payer ni annonce commerciale à faire paraître.

Les nouvelles pratiques induites par Internet ou chacun peut créer son blog autour d’un sujet quelconque ne relèvent pas du journalisme. La source des informations distribuées n’est pas toujours identifiable. Et comment faire confiance à un chroniqueur d’appareils quelconques qui se voit offrir les dernières innovations, si possible pour ne pas en dire trop de mal, et qui sera remercié avec des bannières de publicité de distributeurs de la marque directement intégrées dans le corps de son sujet sur le blog dont il tire ses revenus ?

La pratique journalistique est pourtant assez simple à définir :
- elle n’est pas commerciale,
- l’information doit être recueillie directement par le journaliste qui va la transmettre au public au moyen d’un support (imprimé, radiophonique ou audiovisuel).
- l’information doit être sourcée, fidèle à sa source (état des lieux, témoignage recueilli, identification des personnes interrogées) et vérifiée par le rédacteur, donc contrôlable en cas de litige mettant en cause le directeur de la publication.

Rien de cela ne concerne les non-journalistes : les chroniqueurs et critiques vont donner un libre point de vue sur un sujet, sans qu’il aient besoin de vérifier l’information et sans nécessairement en contrôler eux-mêmes la source, de même que les blogueurs ou les influenceurs, dont la pratique est plus ou moins compromise par leur lien à une activité publicitaire. Aujourd’hui, les marques commencent à se rendre compte que leurs investissements en matière d’influence sur les réseaux sociaux se heurtent à la réticence d’un lectorat qui n’est pas ignorant et qui voit bien la grosseur des ficelles commerciales qui sous-tendent bien des propos. Mais le mal est fait en profondeur puisque la presse vit des temps difficiles où même les titres de prestige d'autrefois s'imposent de recourir à des mercenaires.

Il y a aujourd’hui 35 000 journalistes titulaires de la carte de presse, ce qui n’est pas négligeable pour rappeler qu’ils ont un vrai métier, déontologiquement bordé et rigoureusement distinct des métiers de la communication (publicité, relations presse, promotion et événementiel). Un métier exigeant propre à rendre ses lettres de noblesse à n’importe quel domaine de l’information, et qui constitue aujourd'hui le seul rempart contre la diffusion massive de fake news ou d'approximations.
La presse jardin en a autant besoin que la presse d’information générale pour reconstruire les bases de la confiance des lecteurs en restituant l’expertise des professionnels et des créateurs du monde du jardin, dans des publications imprimées ou en ligne dignes de foi et constamment renouvelées. À moins de laisser les nouvelles générations dans l’impasse…

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